GLACIERS 2015 – 2018
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Il y a 25’000 ans – une époque à la fois lointaine à l’échelle d’un humain, mais si dérisoire dans l’histoire de l’humanité – les glaciers recouvraient la Suisse jusqu’à Berne et s’étendaient au-delà de Grenoble dans la vallée de l’Isère. Par endroits, l’épaisseur de la glace dépassait les mille mètres.
Quoi qu’on en pense, la fonte des glaciers ne date donc pas d’hier. Mais, depuis un siècle et demi, et la fin du petit âge glaciaire, l’accélération du phénomène est inquiétante. Pire encore: depuis plusieurs décennies, le recul est quasiment visible à l’œil humain. Eté après été, l’effrayante réalité se mesure parfois en dizaines de mètres. D’ici cinquante ans, cent ans, cinq cents ans peut-être, les glaciers auront disparu. Tout du moins sous leurs formes actuelles, dans une montagne colonisée par l’homme, offerte en pâture au tourisme, propice à l’exaltation des sens et à l’invocation du sublime.
Actif depuis la fin des années 1970, Jacques Pugin a toujours trouvé son inspiration dans les montagnes, notamment dans les Alpes de sa Suisse natale (La montagne bleue 1995-1998, La montagne s’ombre 2005-2013, Day after day 2009-2015). Photographe de la trace, du temps suspendu, de l’empreinte humaine, il ne pouvait que s’intéresser à ces entendues grisées par la poussière de rocaille, à ces séracs taillés comme des stalagmites à ciel ouvert, à ces crevasses tumultueuses, tranchantes comme des scalpels, à ces glaces striées qui charrient lentement leur moraine.
Avec Glaciers (2015-2017), l’artiste évoque la trace tangible de l’homme et sa responsabilité sur le réchauffement climatique. Dans un premier temps, il témoigne concrètement de la fonte inexorable de ces neiges qui, en réalité, ne sont pas éternelles. Dans une démarche à la fois documentaire (il photographie ce qu’il voit, sans aucune mise en scène) et onirique (on pourrait très bien y voir un décor de théâtre, un montage pointilleux et réfléchi), il montre ce glacier du Rhône que l’homme recouvre chaque printemps de linceuls blancs, dans un pieux geste destiné à ralentir son inexorable repli. Un geste à la fois vain face à la force de la nature, hautement symbolique et… mercantile, car ces instigateurs tentent ainsi de préserver l’activité touristique aux abords du site.
Dans un second temps, Jacques Pugin s’est initié au pilotage d’un drone doté d’un appareil photo ultraperformant. Aux commandes de cet oiseau téléguidé, il peut ainsi survoler les glaciers, s’en approcher à quelques mètres et s’offrir des visions inexplorées tout au long de l’histoire de la photographie. Il lui suffit parfois de s’élever d’une dizaine de mètres pour faire surgir des points de vue jusqu’ici inaccessibles. Sans tomber dans la verticalité de la photographie aérienne, sans subir les interpolations numériques de Google Earth, il s’approche d’une forme d’abstraction géométrique, le plus souvent dans des dégradés de textures grises, des tons sur ton rehaussés de touches de bleu turquoise. Loin des stéréotypes du genre, ses images défient la notion d’échelle, entre le miniature et le grandiose.
Un siècle et demi après John Ruskin et son célèbre daguerréotype de la Mer de glace, Jacques Pugin renoue avec le sublime et dresse un éloge romantique de cette disparition annoncée, encore plus attirante dans sa fragile actualité.
GLACIERS 2015 – 2018
25 000 years ago — a remote era on an individual human scale although negligible in the history of humanity—Switzerland was covered in glaciers that stretched from Bern to Grenoble and beyond to the Isère Valley. In places, the ice was over a thousand metres thick.
Whatever one may believe, the melting of the glaciers is not a new development. But over the last hundred and fifty years, since the end of the Little Ice Age, the acceleration of this phenomenon has become worrying. Worse still : for several decades the retreat has practically been visible to the human eye. Summer after summer, the frightening reality can be measured in tens of metres. Within the next fifty, hundred or perhaps five hundred years, the glaciers will have disappeared. In their current form at any rate, as mountains colonized by man, for tourist consumption, that exalt the senses and evoke the sublime.
Jacques Pugin has been inspired by mountains since the 1970s, notably the Alps of his native Switzerland ( The Blue Mountain1995-1998, Le Montagne s’ombre ( Mountain Shadows) 2005-2013, Day after Day2009-1015). His subject matter features traces, suspended time and the imprint of mankind, so he is inevitably attracted to these vast landscapes powdered with gray scattered rock, seracs shaped like open air stalagmites, tumultuous razor-sharp crevices and striated ice slowly transporting its moraine.
In Glaciers (2015-2017), Jacques Pugin evokes the tangible traces of man and his share of responsibility in global warming.
In the first place, he bears witness to the relentless melting of the glaciers, which are not in reality eternal. Taking an approach that is both documentary (he photographs what he sees without artifice) and dreamlike (one might see it as a theatre backdrop, a meticulous and thoughful montage), he shows the Rhône glacier, which is shrouded with artificial snow every spring, in a pious gesture intended to slow its inevitable retreat. A gesture that is simultaneously vain, given the power of nature, highly symbolic and also mercenary, a means of generating tourism for the site.
In the second place, Jacques Pugin learned how to pilot a drone fitted with an ultra-sophisticated camera. Guiding this remote-controlled bird,
he can now fly over the ice caps, get within a few metres, and explore and produce views that have never been seen before in the history of photography. Sometimes he only needs to ascend a few dozen metres for new and inaccessible viewpoints to appear. Without resorting to the verticality of aerial photography, or the digital interpolations of Google Earth, his photos approach a form of geometrical abstraction usually in range of subtle shades of texturedc gray, highlighted with touches of turquoise blue. Far from classic stereotypes of the genre, from the miniature to the grandiose, his images defy notions of scale.
One hundred and fifty years after John Ruskin and his famous daguerrotype of the Sea of Ice, Jacques Pugin has reconnected with the sublime to create a romantic eulogy to this pending demise, rendered all the more fascinating by its present fragility.
Christophe Dutoit, journaliste, octobre 2017
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