#183 Sacred Site, Namibie, 2008, 17°36'41'' S 13°20'1'' E

Sacred site 1, 2001 – 2017

Daniel Girardin, ex conservateur du Musée de l’Elysée, Lausanne (CH), 2006.
(English version)

D’ombre et de lumière, inscrites dans la beauté des choses

Depuis près de trente ans, Jacques Pugin cherche dans le monde des lieux qui expriment le rapport complexe que l’homme entretient avec la nature. Des lieux qui portent en eux une trace du mystère des origines et dessinent déjà l’ombre inquiétante de l’avenir. Modelé par les cultures, les sciences ou les religions, le regard en quête des secrets de l’existence se tourne naturellement vers la mer, les déserts ou les montagnes. Là, la violence, l’hostilité et la beauté primitives de la nature mettent l’âme à nu et le corps à l’épreuve. Là, le photographe, conforté par l’évidence esthétique, trouve dans les jeux de lumière une réalité qui n’est pas de simple matière, de seule émotion, de pure forme. Du chaos primordial se dégage une intelligence. La photographie révèle ici une pensée et une force indicibles, qui émanent de la pure beauté visuelle.

Ces espaces immenses, où le temps n’est plus à l’échelle humaine, répondent à un désir d’absolu dans lequel fusionnent des sentiments contradictoires : apocalypse et enchantement du monde, immanence spirituelle et vide absolu, vie et mort.

Les trois religions monothéistes sont nées dans le désert et l’esprit romantique du sublime s’est incarné dans la montagne, champ des ruines de la création du monde. Dans l’horizontalité sans cesse renouvelée des sables du désert comme dans la verticalité glacée des montagnes, la nature est toujours trop forte pour l’homme. Elle lui offre une liberté, mais lui apprend en retour la fragilité, voire la conscience de son inexistence. Au-delà du sentiment de beauté et de poésie, c’est aussi le syncrétisme des cultures qui caractérise ces lieux que le photographe arpente avec un regard où se confondent le ciel et la terre, l’ombre et la lumière, le sentiment et la raison.

Certains lieux sont la matière brute de paysages à construire, d’autres des sites circonscrits héritiers de stigmates que Jacques Pugin dévoile en captant une dimension qui n’est pas habituelle dans la photographie, celle du sacré. Une interprétation subtile mais spectaculaire, aux frontières du regard et de la pensée. La cohérence qui s’en dégage, tout au long des séries photographiques, invite à la méditation visuelle. Au-delà du naturalisme et de l’illusion, sans lesquels il n’y a pas de représentation, s’esquissent des secrets indéchiffrables que seul l’esprit peut imaginer. D’image en image s’installe le sentiment d’une œuvre tissée sur une autre et qui en révèle l’essence, ou du moins la trame.

Au centre des photographies se dessinent des ombres géométriques, des stèles, des cercles de pierre, des installations ruiniformes, suggérant ici le souvenir d’un prophète, là le passage d’un saint, la main d’un dieu. Les lieux sacrés, empreints de miracles aujourd’hui oubliés, de valeurs inconnues ou de civilisations disparues renvoient par l’image à notre vision du temps, dont l’échelle est ici proportionnelle à l’immensité des lieux. Ce qui n’est représentable que suggéré est introduit sous forme de signes ajoutés par le photographe, qui intervient directement sur ses images par le dessin, la peinture ou l’infographie. En modifiant les apparences des lieux ou des paysages, en intégrant dans ses photographies des traces qui relient les fils invisibles du présent, du passé et de l’avenir, Jacques Pugin investit symboliquement ses images. Il y ajoute un élément existentiel et réinvente par reflet les mythes constitutifs de notre culture.

Pèlerin du regard, le photographe fabrique des images qui ne montrent pas seulement ce qui est, mais aussi ce que nous sommes : peu à l’échelle humaine, très peu à celle de la civilisation, rien à celle du temps. Du néant et du désespoir originel naît aussi le regard plongé en soi qui réinvente constamment l’espoir, entre sensualité et renoncement. Les couleurs vives et la lumière brillante se reflètent dans le miroir symbolique que Jacques Pugin nous tend. Il nous projette dans le temps et la solitude. Les lieux sacrés sont des territoires de passage et d’expérience, faits de beauté et de mystère. Il est fascinant de s’y perdre.

Voir d'Avantage
Plus de photographies disponibles sur la version desktop du site