2017 Libération du 4 février 2017, Clémentine Mercier (France)

2017 Libération du 4 février 2017, Clémentine Mercier (France)

DANS DE BEAUX DRAPS

Plusieurs éléments de cette photographie pourraient laisser croire qu’une pièce de théâtre s’apprête à être jouée dans ce décor de glacier. A moins que les acteurs sagouins n’aient déjà fui les planches après la représentation, abandonné l’échelle pour monter sur scène et les draps sales en guise de rideau. Participaient-ils à une nouvelle manifestation d’art lyrique ? A un tableau inédit de la disparition de l’homme tel que théorisée par l’historien d’art Thomas Schlesser ? A moins que ce ne soit l’installation d’une œuvre de Christo ?

La vérité est plus prosaïque. Depuis plusieurs années, il n’est pas rare de voir la lutte contre le réchauffement climatique prendre la forme de couvertures synthétiques. On l’a observé au col des Grands Montets sur le glacier d’Argentière, par exemple. Sur la photo, il s’agit du glacier du Rhône, en Suisse, qui chaque été est recouvert de bâches pour le tenir au frais. Mais si on protège les glaciers, c’est pour mieux les exploiter. Le photographe suisse Jacques Pugin s’en est rendu compte lorsqu’il est tombé sur cette scène d’apocalypse en 2015, après une tempête : «Il y a une raison écologique et commerciale au recouvrement des glaciers. Le glacier du Rhône est accessible en voiture. On y trouve un magasin et un restaurant. Il y a surtout une grotte creusée que l’on peut visiter contre un prix d’entrée. Si on le recouvre, c’est pour le rentabiliser le plus longtemps possible.» Le linceul souillé de cette photographie peut se contempler dans une exposition à Lausanne ou se méditer en ce jour, pour la zone C, de début de vacances, désormais espacées pour remplir les stations de sports d’hiver. Que celui qui annule ses congés de février lève la main.

sur Internet version numérique : http://next.liberation.fr/images/2017/02/03/dans-de-beaux-draps_1546152