
2024 Tribune de Genève, 13/03/24, Irène Languin (Suisse)

2024 Deux photographes confrontent leur vision des Alpes
Exposition à Carouge
Deux photographes confrontent leur vision des Alpes
La galerie Krisal met en dialogue les œuvres de Thomas Crauwels et Jacques Pugin pour une ode à la splendeur et à la fragilité des géants des glaces.
Publié: 13.03.2024, 13h12 Tribune de Genève
L’un capture les massifs dans toute leur magnificence réaliste, l’autre offre sur les éminences un point de vue plus subjectif et pictural. Mais Thomas Crauwels et Jacques Pugin composent tous deux une ode en images aux Alpes, qu’ils fréquentent, appareil à la main, depuis de longues années. À travers «Dialogues avec la montagne», le duo de photographes propose à la galerie Krisal une vision croisée sur une passion partagée, qui invite à la réflexion sur la fragilité de ces paysages grandioses, portant les balafres irrémédiables de l’activité humaine.
Au fil de plus de quatre décennies de création, Jacques Pugin, né à Riaz (FR) en 1954, a souvent interrogé la réalité photographique en intervenant dans ses clichés. C’est une nouvelle étape de ce processus qu’il élabore depuis l’an passé avec une série intitulée «La montagne assiégée». Après avoir superposé plusieurs images réalisées au smartphone ou au drone lors de randonnées sur les sommets, il retravaille en peintre ce paysage stratifié avec des rehauts d’acrylique ou de crayon.
Arrière-pensée écologique
La géographie réelle de ces panoramas s’en trouve gommée pour devenir un lieu à la fois imaginaire et universel, recouvert de petites touches de couleur à la manière d’une pluie intrusive. «J’ai toujours thématisé la trace que laisse l’homme sur le paysage, avec une arrière-pensée écologique, explique Jacques Pugin. Envahie par les promeneurs et les microparticules de plastique, la montagne souffre. Ce sont ces bruits parasites que je représente dans ces pièces uniques.» Tirée de la série «Glaciers offset», une autre œuvre figure une langue de glace reconstruite par couches de photos successives, qui propose un idéal saisissant de beauté d’une nature en train de disparaître.
Thomas Crauwels, en revanche, représente les chaînes montagneuses de façon quasi hyperréaliste. Ses vues panoramiques époustouflantes plongent dans un univers peu accessible au commun des mortels, dont la majesté en noir et blanc se voit soulignée par le grand format. «La puissance des glaciers m’hypnotise, concède le photographe et alpiniste d’origine belge de 40 ans. Ce royaume d’en haut est devenu ma muse depuis que je l’ai découvert en Suisse il y a quinze ans.»
La somptuosité de ces perspectives n’empêche pas le questionnement environnemental. Elle le met même en exergue. Sur une vue du Lyksamm, dans les Alpes valaisannes, les premières neiges soulignent les reliefs d’une peau de glace crevassée par un été caniculaire. Paradoxalement magnifiques, ces cicatrices disent la souffrance d’un trésor de la nature en grand danger. Thomas Crauwels montre également plusieurs instantanés en gros plan de cette chair gercée évoquant le cuir de pachyderme, dont les atours tendent vers l’abstraction.
version numérique de l’article https://www.tdg.ch/carouge-deux-photographes-dialoguent-avec-la-montagne-752342593605