2017 Tribune de Genève, 3/11/17, Irène Languin (Suisse)

Suaires blancs pour glacier à l'agonie

Vendredi 3 Novembre 2017 dans la Tribume de Genève (Suisse) par Irène Languin, article lors de l’exposition à la Galerie Krisal à Carouge/Genève, novembre 2017

Suaires blancs pour glacier à l’agonie

Décryptage d’une oeuvre Le photographe suisse Jacques Pugin documente les marques que laisse l’homme dans le paysage. La galerie carougeoise Krisal expose actuellement ses images de glaciers.

Il offre au ciel une échine mordue par le soleil, reposant sur la montagne son grand corps meurtri. On devine sa faiblesse mais il conserve une dignité hiératique, tel un animal blessé dont la fierté refuse d’abdiquer. L’homme a recouvert les flancs souffrants du glacier d’immenses draps blancs, dans l’espoir de retarder la progression du mal. Ces linceuls, toutefois, paraissent bien dérisoires: souillés, désordonnés par les bourrasques, ils jonchent le sol, rendus à leur inutilité par cette nature qu’ils prétendent protéger.

Œuvre de Jacques Pugin, cette saisissante photographie est à voir dès samedi chez Krisal Galerie à Carouge. Intitulée Glaciers, l’exposition regroupe onze clichés pris entre 2015 et 2017 sur les monts valaisans. Cette série s’inscrit dans la continuité de ce que l’artiste né en Gruyère en 1954 fait depuis longtemps: témoigner de l’empreinte humaine sur le paysage. «J’ai eu envie de montrer ce qui se passait dans nos montagnes, explique-t-il. En Suisse et ailleurs, les glaciers sont en train de fondre.» Afin d’aller au plus près des séracs, le photographe a usé d’un drone, offrant des vues intimes et inexplorées de ces glaces dont on peut douter aujourd’hui de l’éternité.

Réalisé le 4 août 2015, cet instantané a une histoire particulière. «Je commençais ce projet, j’étais en repérage sur le glacier du Rhône, raconte Jacque Pugin. D’habitude, les bâches tiennent bon mais là, elles étaient enroulées sur elles-mêmes, sans doute après un coup de vent. La photo s’imposait: je n’avais pas mon matériel, alors j’ai sorti mon iPhone.» Preuve, si besoin était, qu’une image forte – celle-ci s’est retrouvée tirée à près d’un mètre de hauteur au Musée de l’Elysée, à Lausanne, au début de l’année – ne nécessite nullement une débauche de moyens.

D’une beauté poignante, la scène résume le vaste chaos que l’humanité imprime à la Terre et le sentiment d’abandon qui s’en dégage semble annoncer la fin de l’histoire. Car ceux qui effectuent pieusement ce geste réparateur sur les glaces sont les mêmes qui contribuent à leur destruction. C’est en effet pour préserver l’activité touristique sur le site que les suaires immaculés sont déployés chaque printemps.

Irène Languin

Version numérique TdG : https://www.tdg.ch/suaires-blancs-pour-glacier-a-l-agonie-544976342969