1987 Le Liberté, dimanche 22/02/1987, (CH)
1987 Le Liberté, dimanche 22/02/1987, (CH)
Article de Claude Schuard, exposition au Musée de l’élysée
Jacques Pugin photographe de lumière
Né 50 ans plus tôt, Jacques Pugin serait peut-être devenu peintre. A 18 ans, ce Bullois né en 1954 a préféré la photographie à la toile sans renier pour autant cette dernière. Aujourd’hui installé à Genève où Il s’affirme dans la photo publicitaire, Jacques Pugin n’en continue pas moins de cultiver ses jardins secrets: une photo créative récompensée par plusieurs bourses fédérales, d’arts appliqués d’abord puis des beaux-arts, documentés par quelques expositions individuelles, dont la dernière en date, au Musée de 1’Elysée à Lausanne. Une belle confirmation pour ce peintre de la lumière, autodidacte en tout mais pas amer pour autant.
Jacques Pugin appartient à cette catégorie de photographes qui n’ont pas rencontré dans le milieu familial de leur adolescence la compréhension qu’ils attendaient. Du moment que la photo est accessible à tout le monde, pensaient ses parents, pourquoi en faire profession?
Pas sérieux, ont-ils dit. Jacques Pugin ne s’est pas découragé pour autant. Additionnant les stages, de Zurich à Genève, il a suivi son petit bonhomme de chemin. Soumettant ses photos aux jurys fédéraux, il a alors bénéficié de plusieurs bourses qui lui ont permis de monter son studio. D’acquérir le matériel nécessaire a ses activités professionnelles: la photo publicitaire qu’il pratique seul, la plupart du temps. L’automne dernier, pourtant J.Pugin a pris sa revanche en accueillant des stagiaires de l’Ecole de photographie de Vevey. L’autodidacte était vraiment reconnu.
Pub et créativité
Lorsque nous l’avons rencontré à Genève dans son studio situé dans un immeuble moderne à quelques pas de la gare, J. Pugin bataillait au téléphone avec un directeur d’agence. 11 voulait pour ses futures prises de vue un ciel peint de 4 m’A 1’autre bout du fil, on lui conseillait de se débrouiller avec un fond bleu ou de chercher un ciel ailleurs. Hélas! en photographie aussi, les ciels se déchirent et ne s’échangent donc pas facilement! Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les photos créatives de Pugin ne l’aident pas dans le domaine publicitaire. Les directeurs; d’agence, dit-il, se méfient de cette dualité, la créativité desserre plus qu’elle n’appuie. Qu’à cela ne tienne. Jacques Pugin qui rencontra à Genève des artistes conceptualistes tels que Ducimetière a développé une photographie originale qui tient dans un subtil équilibre entre prise de vue et intervention personnelle. Après « Graffiti greffés », il expose aujourd’hui à Lausanne le résultat de ses travaux d’été 1986. Des photos couleurs de paysages dans lesquelles il intervient en maniant une sorte de pinceau de lumière. Fixant son appareil sur un trépied, il prend d’abord la photo du paysage choisi – lieu célèbre tel que le Cervin mais aussi sous-bois, etc. – puis il attend la tombée de la nuit. A ce moment, faisant se déplacer dans le paysage devenu invisible une petite lumière, il inscrit ainsi sur la pellicule une sorte de trace immatérielle.
Voici trois ans, Pugin avait commencé par inscrire dans ses photos un objet référence – une corde par exemple – qui à chaque fois marquait sa présence. Avec le rayon lumineux, il retourne de plain-pied à la photographie des origines, qui est dessin de lumière. Cette démarche, inaugurée à Fribourg, lors de la dernière triennale où il fut invité à utiliser le studio Polaroid a depuis lors fait l’objet de publication en revue. Aujourd’hui, Jacques Pugin dit avec un peu de révolte et d’amertume dans la voix que ses images suscitent déjà quelques imitations. Un risque inévitable qui l’oblige ainsi à aller de l’avant, à rendre ses recherches toujours plus cohérentes. 11 faut croire que ses efforts ont été reconnus par les jurys fédéraux successifs puisque à son âge et malgré ses activités professionnelles, le jeune photographe compte déjà à son actif un beau palmarès.