2019 19-20 octobre, 24 heures, Rebecca Mosimann, (Suisse)
2019 Quels glaciers pour demain ?
Par Rebecca Mosimann, journaliste.
«Que restera-t-il dans le souvenir collectif après la disparition totale des glaciers?» interroge l’artiste Laurence Piaget-Dubuis à travers son installation à l’Espace Graffenried, à Aigle. Son questionnement, mis en scène dans le cadre de l’exposition «Glaciers ultimes», résonne particulièrement aujourd’hui à l’heure où la jeunesse se mobilise face à l’inaction politique en matière de réchauffement climatique. Ce dernier a déjà profondément modifié le visage des glaciers suisses comme en témoigne cette nouvelle exposition installée au deuxième étage de cette belle bâtisse historique entièrement rénovée au coeur du bourg de la cité aiglonne. Partie des aquarelles du peintre local du XIXe siècle Emile Gissler, dédiées à ces paysages glaciaires immaculés, la commissaire Maéva Besse a convoqué le regard de cinq artistes-photographes suisses contemporains dont le travail explore, chacun à leur manière, l’évolution et les enjeux actuels autour de ces espaces naturels menacés.
Jacques Pugin
Depuis 40 ans, la montagne inspire le photographe né en Gruyère qui intervient volontiers dans ses clichés pour rendre compte de la réalité. Après sa série «Glaciers», composée de photos aériennes prises avec un drone et qui constatent de l’intervention de l’homme dans le processus du réchauffement climatique, Jacques Pugin entre ici dans l’imaginaire: ses plans superposés captés en vidéo lui permettent ainsi de reconstruire les glaciers (Moiry, entre autres), dans un monde rêvé à travers un subtil jeu de transparence.
Laurence Piaget-Dubuis
L’artiste valaisanne engagée en faveur de l’environnement a créé l’installation «Disparu» spécialement pour l’exposition. Le glacier qui recule est au coeur de sa démarche qui cherche à l’inscrire sous une forme matérielle. Tel un vecteur de mémoire, avec plusieurs couches d’interprétation. À partir de photographies du glacier d’Aletsch prises en relief, le rouge (chaud) et le bleu (froid) créent un effet en trois dimensions qui explore la ligne d’équilibre du 0 °C. Plus ce dernier monte en altitude, plus le glacier fond. Quant au double lit sur lequel le visiteur est invité à se coucher, il symbolise
MatthieuGafsou
Le photographe lausannois a exploré les Alpes dans une série du même nom entre 2009 et 2012, exposée aussi bien au Musée de l’Élysée qu’en Russie ou au Cambodge. Dans ce cliché capturé sur le glacier du Rhône, Matthieu Gafsou dénonce l’impact du tourisme de masse, «le désir de contrôle de l’homme sur la montagne. Il met des bâches pour prévenir sa fonte dans un but économique afin de permettre au public de visiter la grotte de glace située dessous. Cet enfant, là juste au bon moment, apporte une ambiguïté. Il m’a touché.»
Emile Gissler (1874-1963)
Le glacier d’Orny représenté (ci-dessous) par le peintre aiglon Emile Gissler témoigne de cette vision romantique si chère aux artistes de son époque: le sentiment de vertige ressenti face à la puissance de la nature. Son aquarelle aux tons bleutés et aux silhouettes déchirées évoque cette pureté aujourd’hui disparue qui contraste d’autant plus avec les regards des photographes actuels confrontés, eux, à leur usure, conscients aussi de leur fragilité et de leur précarité.